vendredi 5 octobre 2007

102 ans

J'ai rendu visite à une de mes clientes. Elle vit dans un superbe appartement de 175 m² en plein Bordeaux, tout près de la galerie bordelaise.
La porte sur la rue est immense et très travaillée. L'escalier est très large, en pierre blanche avec une rambarde en fer forgé. Le milieu des marches est très usé.

On rentre dans l'appartement par une autre très grande porte. Les plafonds sont très hauts, très travaillés. Le parquet est très beau. Les boiseries sont d'origine. Les pièces communiquent, se rejoignent. Un côté de l'appartement est arrondi.

La dame qui habite là aura 102 ans au mois de novembre. Elle doit vivre dans cet appartement depuis des lustres... Les tapisseries sont défraîchies. La peinture du plafond s'écaille. Les moquettes sont ternes et douteuses. Ça sent le renfermé. De grosses tentures poussiéreuses obscurcissent la pièce. Les papiers peints sont fleuris trop fleuris. Les meubles sont imposants. Ils ont l'air de peser des tonnes. La déco est vieillotte.

Quand j'ai sonné, elle a mis un certain temps à m'ouvrir. J'ai compris en voyant sa canne qu'elle avait du mal à se déplacer. Elle portait un chemisier fleuri. Elle avait mis du rouge à lèvres pour m'accueillir. Malgré sa perruque un peu de travers, elle était pimpante. Elle a dû être une belle femme dans le temps. J'ai cherché des photos du regard... aucune.

Sur la table, elle avait poussé le napperon jauni et l'énorme soupière pour poser ses papiers, ses lunettes et sa loupe. On a parlé de ses petits enfants, de son filleul, de sa fille adoptive... A son âge, il faut qu'elle mette "tout en ordre", et elle ne veut léser personne. Cet argent, elle le leur doit. Elle ne garde que quelques broutilles pour vivre et pour payer ses frais d'obsèques. Tout le reste sera pour eux. Et si elle gagne au loto, parce qu'elle joue toutes les semaines, et bien ça sera pour eux aussi. Et la maison d'Arcachon aussi, elle sera pour eux !

Elle avait préparé du café. Elle me l'a servi dans de jolies tasses aux bords dorés, sur un plateau argent. Le sucrier était en argent lui aussi. Elle a attrapé un sucre en tremblotant avec une pince dont les pics s'écartent quand on appuie sur le bout. Elle s'inquiétait de savoir si son café serait bon parce qu'elle ne voyait pas bien le niveau de l'eau dans la cafetière. Il était excellent.

Quelque fois, elle posait des questions auxquelles j'avais déjà répondu plusieurs fois. Quelque fois, elle avait le regard dans le vide, elle devait réfléchir. Quelque fois, elle perdait le fil de la conversation et changeait de sujet sans même s'en rendre compte. Elle suivait sa pensée et parlait d'une chose, d'une autre... sans se soucier de savoir si je comprenais ou non.

Je suis restée plus d'une heure et demie.

Quand je me suis retrouvée dans la rue, il pleuvotait.
Je me sentais étrangement légère. Comme si j'étais encore épargnée par le poids de toutes ses années que je n'ai pas encore vécues.

Comment serais-je à 102 ans ?

Où serais-je ?

Serais-je encore ?



2 commentaires:

sandrine a dit…

je ne sais pas si comme moi vieillir te fait peur... est ce que des rencontres comme celle ci te rassure ou t'effraie ?

C'est pas facile ! a dit…

Moi, ça m'effraie un peu.
Mais on ne peut pas lutter contre le temps qui passe...
C'est pour ça que je profite de chaque instant.